Photo illustration : Maxime ROUANET
Découvrez Véronique Bouchs, modéliste et gérante de l'Atelier Léopoldine un lieu de création de textile situé à Bizanos.
- Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Je suis Véronique. J’ai 29 ans, je suis maman d’une fille de 2 ans et je suis pacsée avec Pierre Étienne, boucher de formation, qui m’aide dans l’entreprise.
Mon métier est modéliste. Cela consiste à réaliser les patronages des vêtements. Différent du styliste qui s’occupe de la partie du dessin, nous nous occupons plutôt de la partie technique. Comme un architecte dans le bâtiment, nous allons produire l’architecture du vêtement, la construction et tout le développement qui suit pour rendre le projet viable : étude de coûts, faisabilité, sourcing des fournisseurs.
Nous aidons les clients à avoir un produit clé en main. Ils arrivent chez nous avec un dessin de collection et nous les accompagnons sur tout le process pour avoir du réel, du 3D et avoir à la fin leur vêtement sur cintre.
La deuxième activité de l’entreprise, va être la partie production.
Une fois que le bureau d’étude a développé le process, nos clients ont la possibilité de fabriquer ou non chez nous. Si non, nous pouvons les accompagner pour trouver un sous-traitant en France ou à l’étranger. Nous maîtrisons toute la ligne, de l’idée de départ à la mise sur cintre en boutique. C’est vraiment le cœur de votre métier.
- En quoi consiste votre travail au quotidien ?
Mon travail au quotidien est entre deux choses.
Théoriquement, j’aimerais que ce soit 60% modéliste et 40% dirigeant mais la réalité se trouve être plus 80% dirigeant et 20% modéliste. Ça tend à changer, la volonté est que l’on aille vers l’équilibre.
Au quotidien, nous gérons les collaborateurs, les besoins administratifs et financiers de l’entreprise et la stratégie au long terme.
Sur la partie technique, nous recevons les clients, développons la partie commerciale et mettons en place les projets pour que les collaborateurs aient ensuite de la matière pour travailler.
- Y’a-t-il des différences entre l’idée que l’on se fait du métier et la réalité ?
C’est un monde ! (Rires)
Les gens, que ce soient les clients, les jeunes en formation ou ceux qui entrent dans le monde du travail s’imaginent que l’on fait des trucs formidables toute la journée, que l’on fait des dessins et des défilés. C’est peut-être 1% du travail. Rires.
La réalité est que c’est un métier où les négociations sont ardues. C’est un milieu où l’on marge peu, on est à des taux de marge entre 5% et 10% quand on est bien rencardé et que l’on a un peu de chance avec nous. C’est vraiment beaucoup de négociations, beaucoup de diplomatie avec les différentes parties prenantes que ce soient les fournisseurs, les clients, la logistique derrière, les transporteurs, parce que oui on gère ça aussi.
Donc c’est beaucoup, beaucoup de diplomatie et de discussions qui ne sont pas à la base du tout mon métier.
- Quelles sont les principales problématiques que vous rencontrez dans votre métier ou dans le développement de votre société ?
La première et la majeure, est je dirais le recrutement.
Nous ne sommes pas dans un bassin textile. L’Aquitaine, le sud-ouest et Pau particulièrement, ne sont pas un bassin d’emploi sur le sujet, du tout, nous ne sommes pas à Lille, à Lyon ou à Cholet. Il est difficile de trouver des gens qui ont envie de s’investir dans ce domaine qui est en plus de ça méconnue.
Nous sommes une niche dans le métier. C’est d’autant plus compliqué de trouver des personnes polyvalentes et compétentes dans ce que l’on fait : de l’homme, de la femme, de l’enfant, de la matière maillot de bain, … On rentre en plus dans la spécification, ce qui fait qu’on cherche une aiguille dans une botte de foin.
Le recrutement est un réel problème qui nous freine et nous amène à revoir la stratégie de développement. Nous ne sommes parfois pas en mesure de répondre aux volontés de développement de nos clients parce que l’on n’a pas les personnes pour le faire. Nous pouvons les accompagner sur l’idée, sur la construction du dossier afin qu’il soit prêt pour la production mais il nous arrive de leur dire que l’on n’est pas en mesure de faire la production en Made in France et en local malgré la volonté de relocalisation. Nous les envoyons alors soit chez des collègues français qui sont plus gros et plus structurés soit au Portugal ou en Espagne parce que malgré tout nous ne sommes pas très loin. C’est un problème majeur.
Le deuxième serait, je reviens à ça, le manque de connaissance du métier et des contraintes que ça impose. C’est-à-dire que les gens s’imaginent, on appelle ça la génération Amazon, qu’ils vont avoir une idée et qu’ils vont recevoir leur collection en 3 semaines. Ce n’est pas la réalité. Il faut pour une collection au moins 3 à 4 mois pour se monter et il faut ensuite fabriquer derrière. Du jour où l’on a l’idée à la sortie de la collection, nous sommes sur un délai de 6 mois à 1 an de développement, si tout roule bien. Ça ne se fait pas comme ça.
C’est un peu compliqué à faire entendre. On passe parfois pour les rabats joie et le français lent mais il y a pleins d’intervenants au-delà de notre atelier. Nous sommes un peu comme un maître d’œuvre. Nous devons mobiliser tous les intervenants et réussir à manager chacun d’entre eux pour qu’ils soient à leur place dans la chaîne. Les clients ont un peu de mal à l’entendre.
- Quelles sont les perspectives d’évolution de votre activité ou de votre société ?
De notre activité, l’évolution majeure est la partie écoconception.
C’est quelque chose que nous avons déjà mis en place depuis un moment du fait de mes affinités personnelles et celles de l’équipe. Nous avons aujourd’hui le choix et la capacité de pouvoir sélectionner les projets sur lesquels nous souhaitons travailler. Nous travaillons, à 95% je dirais, avec des clients qui ont des volontés d’avoir du Made in France, des matières recyclés, éco conçues et bio. C’est une niche que l’on souhaite exploiter car ça correspond à nos valeurs, mais aussi car il y a un manque là-dedans.
Nous participons au slow fashion où les collections sont longues à mettre en place. Nous préférons perdre 3 mois mais trouver la bonne matière qui est responsable plutôt que de travailler avec pleins de plastiques teintés ou des matières abominables.
C’est de cette manière que nos clients nous trouvent, parce que l’on a ces affinités là et ça tend vers l’évolution du marché. Toutes les grandes chaînes comme Promod ou H&M possèdent aujourd’hui des gammes éco-conçues, bio et responsables mais ce n’est pas encore assez présent sur le niveau créateur. Notre atelier est plutôt sur du haut de gamme par le made in France et tout ce qui va derrière. C’est vraiment une volonté et une évolution franche de l’activité d’aller vers ces milieux-là.
J’ajouterai aussi que ma volonté stratégique à 3/4 ans est de stabiliser l’activité et de réussir à avoir quelque chose de pérenne notamment au niveau des équipes.
On a eu un turn over suite au Covid où les gens se sont retrouvés lassés de la situation, de tout ce qu’on leur a demandé pendant 2 ans et des efforts qu’ils ont fourni indépendamment de notre métier. Je pense que cette problématique est présente dans tous les secteurs d’activités. J’ai eu une vague de départ parce qu’au bout de 2 ans d’efforts où nous avons travaillé comme des acharnés, nous n’avons jamais fermé et au contraire nous avons travaillé davantage par rapport à d’autres, j’en ai 3 qui sont parties en ras le bol et clairement c’était affiché que c’était pour ça.
J’ai donc 3 membres de mon équipe fondatrice qui s’en vont et qui sont en arrêt maladie, plutôt coté psychologique que soucis moteur ou mécanique parce qu’elles sont en ras le bol des efforts qu’on leur a demandé pendant deux ans.
La volonté c’est donc de réussir à structurer une équipe stable et durable pour pouvoir embrayer des projets, monter en compétences et avoir quelque chose de sûr derrière.
Parce qu’il y a 6 mois, on savait faire des chemises mais la personne qui faisait des chemises est partie donc on ne sait plus faire de chemise … Il y a deux ans on savait faire du maillot mais celle qui faisait du maillot est partie. Nous devons donc reformer sur le maillot. On met en permanence le travail sur la table pour recommencer ce que l’on a déjà fait.
Je m’occupe de la formation en parallèle des syndicats notamment du syndicat de la couture. Ce n’est pas gratuit et cela prend du temps. Il n’y a pas de formation diplômante. C’est soit sur le tas, soit à force de faire, soit en partant à Paris à l’IFTH où l’on forme les gens en intensif pendant 1 semaine et effectivement ça permet de passer un gap mais ce n’est pas gratuit. Même si la formation est financée partiellement, il y a quand même les frais annexes que nous devons payer puis la personne est à Paris et non à l’atelier.
- Quelle est votre vision de la mode actuelle ?
Vaste sujet ! (Rires)
Nous sommes sur un versant vraiment responsable de la mode. On n’est plus sur des collections effrénées à 4/5 par an. Les clients qui viennent me voir en me disant : « Je souhaite 6 collections par an », ce n’est pas avec moi qu’ils vont travailler ! Déjà nous n’avons pas les capacités de l’absorber. Puis c’est irréaliste à tous les niveaux ! Qui achète 6 jeans par an ? Moi je n’en connais pas beaucoup. Le penchant du consommateur ne va pas vers ça donc c’est complètement incohérent de continuer ces modèles-là. Notre vision de la mode ce sont des choses plus responsables, des produits durables, des produits éthiques qui sont vertueux que ce soit pour l’environnement, pour l’emploi et localement pour notre implantation.
- Qu’est-ce que vous feriez différemment ?
Tellement de choses ! (Rires)
Non, je ne me suis pas tant pris de gamelles que ça. Je pense que j’étais bien entourée dès le départ. Je dirais l’amont des cursus de formation qui font qu’on aurait des élèves et des profils qui seraient, à leur sortie, familiers à la réalité du marché. Actuellement, c’est à mille lieux. Par exemple, j’avais une élève en BTS, l’enseignant vient pour l’évaluer et à aucun moment elle ne m’a demandé si elle savait coudre… L’étudiante devait mettre en place un projet de recyclage des déchets textiles en entreprise. Le jour où je veux faire ça, j’appelle un ingénieur textile, je n’appelle pas une couturière en BTS.
Ce que j’aimerais faire et ce que l’on ferait différemment serait l’amont : la préparation à l’embauche et l’affinité entre le circuit pro comme les alternances et apprentissages. Car même les apprentis que l’on a eu, on leur montre des choses qu’ils n’ont jamais vu en cours …
- Que pensez-vous du secteur des subventions ?
Ça me sauve la mise ! (Rires)
Non franchement la démarche de base était de me dire que si l’on ne s’était pas rencontré ce sont des choses que je n’aurai jamais faites, dont je n’aurai jamais été mise au parfum et même si ça avait été le cas je n’aurai jamais pris la peine de le faire ! Parce que quand je vois le panouille que c’est, allez farfouiller là-dedans … J’ai beaucoup l’impression que c’est un jeu d’écriture et que si l’on n’a pas les codes, la notice, le bon contact et le bon timing et bien ça passe à la trappe. Clairement, dans le quotidien, on a les mains dans le cambouis et on a « mieux » à faire entre guillemets. Ce n’est pas ma compétence. Une personne qui sait le faire va passer une demi-journée tandis que si je m’y mets, je vais y passer quatre jours. C’est donc un secteur à part entière qui je pense gagne à être connu. J’en ai parlé à mes collègues qui ne savaient même pas que ça existait et je sais qu’il passe à côté de choses.
- Qu’est-ce qui vous a orienté vers la possibilité d’obtenir des subventions ?
Notre rencontre ! Tout bêtement, notre rencontre et de savoir que ça existait.
- Quelles étaient vos attentes ?
De se dire que si je ne le faisais pas faire par quelqu’un, il ne se passerait rien parce que moi seule je n’aurai jamais eu la patience et le temps d’aller rechercher ce qu’il fallait faire, la démarche à mener. C’était la motivation de me dire que je n’avais rien à perdre.
Ça ne va pas me couter, ça ne peut qu’au mieux me rapporter !
- Qu’est-ce qui a pu vous étonner dans la démarche globale de subvention ? (Délais, relances à faire, diversité des organismes, lourdeur de l’administratif)
La lourdeur ! Franchement, ça me parait être un fardeau. Ce qui m’étonne c’est ça, la complexité de l’administration française.
Je le vois. Actuellement, je travaille avec un fournisseur qui est portugais. Il avait son entreprise au Portugal et est venu démarrer en France en se disant qu’il aurait plus de marché puis il s’est rendu compte de la complexité de la chose. Il a l’impression qu’on essaye de lui mettre des bâtons dans les roues contrairement au Portugal où c’était si simple.
La complexité de l’administration française fait que c’est décourageant.
- Avez-vous été satisfaite de notre accompagnement ? Pensez-vous avoir ce type d’accompagnement et jusqu’au versement ?
Oui satisfait, on obtient des choses donc c’est le résultat. Effectivement, quelquefois il arrive que pour X ou Y raisons ça n’aboutit pas ou on n’est pas éligible mais ce sont les règles du jeu. On n’y peut pas trop grand-chose. De réussir à s’en accoutumer c’est ça qui me satisfait. On ne cale pas le projet au cadre mais on regarde ces cadres et on se dit que l’on peut orienter notre projet par rapport à ces cadres.
- Un argument pour des entreprises qui hésitent à opter pour nos services ?
S’ils ne le font pas faire par vous il ne le feront pas tout court. À moins d’avoir un service dédié et une PME avec 100 bonhommes et quelqu’un qui ne fait que ça. Moi je ne connais personne avec ma typologie d’entreprise qui a les compétences, on ne peut pas être bon en tout il faut l’admettre et il faut s’autoriser à dire qu’il y a des gens qui font mieux ces choses-là que nous.
- Si vous en avez parlé autour de vous, qu’elle a été la réaction des gens ?
De l’étonnement. Souvent les jeunes entrepreneurs comme moi ne savent pas que ça existe. Ils ne savent pas qu’il y a des personnes dédiées à cela. Il y a ceux qui se disent qu’il y a des clés dans le public pour obtenir ce que l’on veut et il y a ceux qui se disent que s’ils ne le font pas faire par quelqu’un, ils n’obtiendront rien. C’est la réalité et il faut avoir cette clarté d’esprit.
- Auriez-vous des suggestions pour éventuellement améliorer nos services ?
La seule chose qui me manque et c’est ma faute car souvent prise par le temps, c’est de vous solliciter à chaque fois qu’il y a des choses qui sont mises en route. On en a déjà parlé, quelquefois on se dit non mais ça, je ne vois pas en quoi ça les concerne et en fait si. Mais par méconnaissance on passe à côté.